« C’est rauque, ça sort des tripes, un peu sauvage. »

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Par Debbie Burke, décembre 2020

Quand le klezmer – musique des villages juifs de Russie et de Pologne, avec des influences roumaines et probablement grecques, rencontre le swing, il vaut mieux reculer d’un pas face à cette lave en fusion. « Klez N’ Zazou », la dernière création du groupe de klezmer fusion, Gefilte Swing  avec des sons traversés par « l’Europe de l’Est », s’abat sur vous telle une pluie d'implacables et géniales harmonies. Créé par le poli-instrumentiste Alexandre Litwak, ces 14 titres vous laissent essoufflé, épuisé et amoureux.
Alors que « Benny's Freilach » bondit avec une intensité et un franc enjouement, « Freilach à la Litwak » (freilach signifie « heureux ») est quant à lui plus léger, jouant dans un registre plus aigu, avec la soudaineté d'un instrumental cédant la place à des voix absolument exceptionnelles, propres au swing (on pense aux Andrew Sisters). Un mélange qui divulgue des sauveurs d'ici et d'ailleurs. « Mashav » est un morceau plus intime, calme et mélodieux avec un solo extraordinaire de trompette auquel lui répond le piano puis la clarinette avec une sonorité « bluesy ». Suave, une voix délicate ouvre « Ikh Zing » et « Yid Meets Goys » avec son côté vieux style vous offre tout un spectre musical.
Le titre du CD fait référence aux « Zazous » qui, selon Wikipédia, étaient une « culture souterraine en France pendant la Seconde Guerre mondiale. La jeunesse exprimait alors son individualité,  se vêtant de larges ou criards accoutrements (semblables à la mode vestimentaire des « zoot suits » qui sévissait en Amérique quelques années auparavant) et dansant  avec fougue sur du swing et du bebop.

Le groupe est composé de Muriel Missirlou : chant / Laurent Vassort : trompette / Alexandre Litwak : chef d’orchestre, clarinette & saxophone alto / Wilfried Touati : accordéon / Pascal Fabry : tuba / Clément Moraux : batterie.

(Introduction traduite et adaptée de l’original en anglais par Daniella Pinkstein)

Comment êtes-vous arrivé à la clarinette et au saxophone, et quelle a été votre première performance ?

J’ai eu pratiquement deux générations de différence avec mes parents.  Étant né en 1970, j’ai vécu les années 20, 30 et 40 à travers eux. Le  « swing » et le « new-orleans » étaient des musiques que l’on écoutait  beaucoup. Mais aussi beaucoup de musiques classiques (Debussy, Ravel,  Poulenc). Quand j’avais 15 ans, j’ai écouté Bix Beirderbecke et Frankie  Trumbauer et ça a été une véritable révolution dans ma tête. Je voulais  faire du cornet mais je trouvais cela difficile de faire tant de notes  avec seulement trois pistons ! Comme j’écoutais aussi beaucoup Sidney  Bechet, j’ai opté pour la clarinette. Mon premier professeur était un  membre d’une école de jazz privée. Il ne connaissait rien au jazz  d’avant le be-bop. Au bout de dix cours, j’ai laissé tomber et j’ai  appris avec les disques. Et après, j’ai eu un professeur de musique  classique qui a eu l’intelligence de comprendre que je n’allais pas  devenir un musicien classique et qui au lieu de m’apprendre la musique  classique, m’a apprit la clarinette… 
Bien plus tard, j’ai pu m’acheter un saxophone. Un Cmelody Sax (comme Frankie Trumbauer !)  mais il n’était pas accordé au même diapason que les instruments de  notre époque et j’ai du changer pour le saxophone alto. Pendant un  temps, j’ai fait aussi du baryton. Et encore plus tard, j’ai quand même  essayé le cornet. Ce n’était pas aussi difficile que je le croyais. Mais  faire un instrument comme la clarinette et en même temps un instrument  comme la trompette n’était pas facile ! Tout le monde n’est pas Benny Carter ! Mon père, qui était dentiste m’a prévenu que ma dentition n’y résisterait pas, j’ai du choisir. 
 Ma première performance était à 18 ans, avec à peine trois ans de   clarinette (n’oubliez pas que je ne faisais pas que de la musique,   j’allais aussi à l’école !). Au lycée, on avait formé un petit « jazz   band » et l’un d’entre nous avait trouvé un bar où l’on pouvait jouer   les samedi soir. Il y avait une contrebasse, une batterie, une guitare (mon pote), un trombone et moi ! On ne gagnait pas beaucoup mais on buvait gratuit et   les filles nous regardaient ! J’ai quelques enregistrements de ces   moments ! Quel horreur !  

Comment votre connaissance des différentes cultures et langues vous aide-t-elle à devenir un meilleur musicien ?

Bien que mon nom soit synonyme d’un accent yiddish, cette langue ne m’a pas été transmise. Je ne la parle pas du tout, ne connaissant qu’une cinquantaine de mots. Et mon anglais n’est pas formidable. Ce qui m’aide surtout à devenir un meilleur musicien c’est l’énorme masse d’enregistrements que nos prédécesseurs ont laissée pour nous nous, tant en klezmer qu’en swing. S’inspirer des autres, les copier, et ajouter ce que l’on est. Les enregistrements passés et présents sont nos livres d’étude. N’oubliez pas que klezmer et swing sont des musiques, à la base, de transmission orale.

Qu’est-ce que vous aimez le plus dans la langue yiddish et pourquoi est-elle parfaite pour transmettre des histoires ?

Est-ce que cette langue est parfaite pour transmettre des histoires ? Pas plus qu’une autre. Pour moi, cette langue représente la forme chantée de la musique juive populaire ashkénaze et tout comme il me parait intéressant que l’on entende de l’anglais quand on joue du jazz, il me paraissait intéressant de faire entendre du yiddish dans ce que nous jouions.

Où avez-vous étudié la musique et quelle est la meilleure chose que vous avez tirée de votre formation ?

Pour la première partie de la question, je pense avoir répondu plus haut. Pour la seconde partie, je dirais que la meilleure chose que j’ai apprise est que ce n’est pas dans les écoles et les conservatoires que l’on devient musicien mais au contact d’autres musiciens.

Parlez-nous de votre dernier album et de vos morceaux préférés.

Six ans se sont écoulés depuis notre dernier cd. 2012-2018, il était temps de faire un nouvel album. Le son, le style avaient évolué, les nouveaux venus ayant aussi apporté une nouvelle rigueur, fraicheur, écoute et des idées.
Cet album est aussi un hommage à mon père, décédé en juin 2017 à 95 ans. Lui, qui bien que totalement éloigné de tout travail de musicien, n’a cessé de m’aider, de me soutenir et de m’encourager dans l’ensemble de mes démarches musicales. S’enthousiasmant à chaque fois que je lui annonçais un concert, un événement privé ou un festival auquel le Gefilte Swing participait. Tout comme il était fier que cet orchestre que j’ai fondé en 1999 fût toujours actif. Cette volonté qui est mienne, de continuer à porter cet ensemble, malgré les aléas inévitables de la vie.
Quant au choix des morceaux, je cherchais des sonorités proches de celles   que mon père avait entendues, aimées, des ambiances qu’il m’avait   transmises avec éclat et qu’il fallait restituer, sans craindre d’y   ajouter d’autres sons.   
 Tout les morceaux de cet album sont mes préférés, chacun raconte une  petite histoire, vraie ou fausse ! (Et si Benny Goodman avait remplacé  Naftule Brandwein ? Sidney Bechet jouant un morceau de John Zorn ? etc)    

J’adore le poisson gefilte avec du raifort rouge sur du matzoh 🙂 Pourquoi avez-vous choisi cela comme nom de groupe ?

Venant d’une famille mixte (ma mère n’était pas juive), et voulant faire un mélange entre « swing » et « klezmer », je me suis dit que de prendre un partie du nom de ce plat si connu dans le monde juif était parfait pour cette musique. C’est bien du swing farci que nous faisons, non ? Je pense toujours que l’on joue comme on est. 

Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec les autres musiciens et qu’est-ce que chacun apporte à votre saveur générale ?

Je n’aime pas jouer de la musique tout seul et je ne me pense pas comme un « sideman ». Pour moi, l’important c’est le groupe, sinon, je n’aurais pas appelé cela « Gefilte Swing » mais « Alexandre Litwak sextet ». Même si j’en suis le chef, j’ai voulu, par exemple, qu’il y ait une trompette, instrument qui est plus « lead » qu’une clarinette. Ainsi j’ai aussi voulu un accordéon et un tuba pour avoir ce côté « traditionnel ». La batterie, bien que derrière nous quand nous jouons est l’instrument central de notre musique car c’est elle qui va souligner le mieux soit le coté « swing », soit le coté « klezmer ».
Chacun vient avec son « passé musical » et apporte sa touche personnelle, son savoir faire.

Où êtes-vous basé maintenant ? Et les autres musiciens ?

Je suis né, je vis à Paris. Les autres musiciens vivent aussi soit à Paris soit dans la proche banlieue. Je ne me suis jamais vu dirigeant un groupe avec des musiciens qui auraient été loin géographiquement.

Savez-vous quand vous recommencerez à jouer en live ?

Le plus tôt possible !

Quelle est la chose la plus importante à savoir sur le klezmer en tant que musicien? En tant que mélomane ?

La musique klezmer est une musique de fête qui a pris beaucoup aux autres musiques. C’est une musique qui a voyagé, partant d’Europe et allant jusqu’en Amérique et qui nous est revenue. Pour faire ce que nous faisons dans Gefilte Swing, il nous faut la connaitre et ne pas s’enfermer dedans. 

Sur quoi travaillez-vous maintenant ?

Sur moi-même ;-) 

Autre commentaire ?

Pour les musiciens klezmer, je suis un musicien de swing, pour les musiciens de swing, je suis un musicien klezmer, je ne suis pas juif pour les juifs mais je le suis pour les non-juifs… Qu’importe, il faut trouver sa route et s'y tenir…C’est ce que j’essaye de faire, avec ce que je suis.